par François LEBAS

Ou comment on est passé du " lapin gibier sauvage"
au " lapin d'élevage producteur de viande "

Figure 1 :Lapin de garenne
Figure 2 : Elevage moderne de lapins

partie 1- 2 - 3              
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Mise en ligne le 25 mai 2008

Plan général de l'Historique de la domestication et des méthodes d'élevage (cliquer sur les N° pour un accès direct)
1 - Le lapin européen et les autres
2 -
Origine du lapin et domestication
2.1. - Passage de l'animal sauvage élevé en enclos au lapin domestique
2.1.1. - Léporaria et Garenne ouvertes
2.1.2
. - Les garennes sources de revenus, mais aussi de conflits
2.1.3
. - Les débuts de l'élevage en clapier
2.1.4. - Des couleurs de plus en plus diversifiée, fixées chez le lapin
2.2. - Développement de la production du lapin aux 18e et 19e siècles
2.2.1. - Approfondissement des connaissances biologiques
2.2.2. - Nouvelles méthodes d'élevage et stabilisation des premières races pures au cours du 19e siècle.
2.2.3.
Les créations de races de lapins
3 -
Au 20e siècle : passage de l'élevage de tradition à l'élevage rationnel

3.1.
- Au début du siècle un gros effort de création et de stabilisation des races pures
3.2.
- A partir des années 1950 -1960 : mise en place d'un élevage cunicole moderne basé sur l'exploitation des connaissances scientifiques

 

1- Le lapin européen et les autres
 


Le lapin européen (Oryctolagus cuniculus) fait partie de l'ordre des Lagomorphes (littéralement : ceux qui ressemblent au lièvre). Cet ordre se distingue de celui des Rongeurs en particulier par l'existence d'une deuxième paire d'incisives à la mâchoire supérieure. Cet ordre regroupe les lapins, les lièvres et les pikas (ou ochotones).

Figure 3 : Genre Oryctolagus
(Oryctolagus cuniculus)
Figure 4 : Genre Sylvilagus
(Sylvilagus floridanus)
Figure 5 : Genre Lepus
(Lepus europaeus)
Figure 6 : Genre Ochotona
(Ochotona princeps)

Malgré sa ressemblance morphologique, en particulier avec les lièvres et les lapins américains (Sylvilagus sp.), le lapin européen ne peut se croiser avec aucun des autres membres de cet ordre.
Ainsi, les lapins abusivement appelés "hybrides" par les cuniculteurs professionnels, ne sont en fait que des croisements entre des races ou surtout des lignées spécialisées, appartenant toutes à l'espèce Oryctolagus cuniculus .

 

2 - Origine du lapin et domestication

 
Oryctolagus cuniculus est le seul mammifère domestiqué dont l'origine paléontologique se situe en Europe de l'Ouest. Les restes fossiles les plus anciens du genre sont datés d'environ 6 millions d'années et ont été retrouvés en Andalousie.
 
Du Pléistocène supérieur (- 100 000 ans) au Néolithique (-2 500 ans) l'aire de répartition de l'espèce correspond seulement à l'ensemble de la Péninsule Ibérique, au sud de la France et semble-t-il vers la fin de la période, à la partie ouest de l'Afrique du Nord. Le lapin représentait par exemple l'essentiel de l'alimentation carnée des hommes vivant 7 000 à 8 000 ans av. J. C. au sud de la France entre les villes actuelles de Marseille et Nice.
Au plan historique, le lapin fut "découvert" en Espagne vers 1 000 avant J.C. par les Phéniciens. Lorsque ces grands navigateurs de la partie Est de la Méditerranée abordèrent les côtes de la Péninsule Ibérique, ils furent frappés par la pullulation de petits mammifères fouisseurs que nous appelons aujourd'hui lapins. Comme ils ressemblaient aux damans de leur pays qui vivent également en colonies et creusent des terriers, les Phéniciens appelèrent la contrée "le pays des damans", "I-Saphan-Im". En effet, saphan (ou sephan) signifie daman en phénicien (shafan en hébreu)


Figure 7 : Extension naturelle du lapin à la fin de la période néolithique
 

Figure 8 : Groupe de Daman des rochers
(Procavia capensis)

Figure 9 : Groupe de lapins de garenne
(Oryctolagus cuniculus)
  Cette dénomination latinisée plus tard, donnera le nom Hispania, puis España. Ainsi, le nom même de l'Espagne est lié à la présence historique des lapins sur son territoire. Par exemple au tout début de notre ère, le poète Catule (87 av. J.C. - 54 ap. J.C.) qualifiait l'Espagne de "cuniculeuse". Au cours du Haut Empire Romain, le lapin a été l'un des symboles de l'Espagne (avec l'olivier), comme en témoignent par exemple les monnaies de l'époque.
 


Figure 10 :Monnaie Romaine 2e siècle Face : l'empereur Hadrien (règne de 134 à 138 a.p. JC)
et Pile l'Espagne assise, tenant une branche d'olivier, un lapin à ses pieds

 

  2.1. - Passage de l'animal sauvage élevé en enclos au lapin domestique

2.1.1 - Léporaria et Garenne ouvertes
Les premiers écrits mentionnant l'élevage du lapin sont ceux de Varon (116-27 av. J.C.). Il préconise de garder les lapins dans des leporaria, parcs murés dans lesquels on conservait aussi des lièvres et autres gibiers afin d'en faciliter la chasse. Cet élevage d'animaux sauvages est à l'origine des garennes entretenues par exemple en France du Moyen Âge jusqu'à la fin du 18ème siècle. Mais il ne s'agit cependant pas encore de lapins domestiques.
Un des premiers signes d'un élevage des lapins de manière plus intense ou plus contrôlée que dans les leporaria a été trouvé lors de fouilles effectuées dans un site gallo-romain du 1er siècle de notre ère, aux environs de Montpellier dans le sud de la France. En effet il y a été trouvé dans plusieurs "puits à cadavres" les squelettes de très nombreux lapins au sein même de la cité. Compte tenu de l'âge de ces lapins au moment de leur mort, il semble bien que ce soient des lapins destinés à la consommation, morts intra-muros, probablement regroupé près des maisons, pour une phase d'engraissement. Il y a en effet très peu de cadavres d'adultes mais beaucoup de juvéniles (1 à 6 mois). Il semble par contre que cette tentative locale d'élevage ou plus exactement d'engraissement contrôlé n'ait pas eu de suite immédiate, puisque ce type d'accumulation de squelettes de lapins n'a été retrouvé nulle part ailleurs.

 
Figure 11 : Vue générale du site de fouilles
Figure 12 : Vue de l'orifice d'un puit une fois les couches superficielles dégagées
Figure 13: Coupe d'un puit "à cadavres" contenant le squelette de 102 lapins
Figure 14: Exemple de squelette reconstitué à partir des ossements retrouvés
Travail de fouilles à Latte près de Montpellier (France) : Gardeisen et Valenzuela-Lamas (2004)
 
Par contre, comme l'atteste la figurine gallo-romaine ci-contre d'un enfant tenant un lapin dans ses bras (2e-3e siècle de notre ère), si le lapin n'était pas encore domestiqué à la fin de l'empire romain, cet animal figurait déjà parmi les espèces apprivoisées, ce qui est souvent la première étape de la domestication.
Figure 15 : Buste gallo-romain en terre cuite représentant un enfant portant un lapin dans ses bras, découvert à Arpajon sur Cère (Cantal - France) - date probable 3e siècle de notre ère.
 

2.1.2. - Les garennes sources de revenus, mais aussi de conflits
A la suite de la conquête de l'Espagne définitivement acquise seulement au tout début de l'ère chrétienne (après la défaite des Carthaginois en 202 av J.C. et la prise de possession de leurs terres en particulier en Espagne, Rome a mis 200 ans à "pacifier" le pays), les Romains ont adopté la coutume des Ibères consistant à consommer des "laurices", c'est à dire des lapereaux "tirés du ventre de la mère" ou "enlevés à la mamelle". A la fin du 6ème siècle de notre ère, l'évêque Grégoire de Tours (538-594) mentionne le lapin dans son histoire des Francs, en reprochant aux moines de consommer des laurices en temps de Carême, ce mets étant autorisé parce que "d'origine aquatique" (sic!). On peut penser avec Zeuner (1963) que le souhait d'obtenir facilement des laurices aurait conduit les moines à imaginer de maintenir les lapines en cage pour accéder plus aisément aux nouveau-nés sans avoir à sacrifier les mères. Effectivement l'élevage des lapins en claustration devient une quasi-exclusivité des couvents à cette époque partagée seulement avec la noblesse. On trouve en effet des écrits attestant d'échanges de couples de lapins entre couvents au milieu du 12ème siècle ou du don d'une garenne par un seigneur à un couvent. Par exemple le Comte de Vougrin donna en 1140 un "défens" (une garenne) à l'abbaye de Saint Cybard d'Angoulême "afin que les moines aient un défens de tous animaux, c'est-à-dire lièvres, lapins, faisans, perdrix, en seigneurie et propriété". Les termes de ce legs montrent aussi qu'à cette époque on est encore proche des leporaria romaines avec un mélange d'animaux de petite taille. De leur côté ces écrits démontrent que le lapin faisait bien partie des petits gibiers classiquement consommés à l'époque, du moins par la classe dirigeante, et n'était pas consommé seulement comme "laurices".

Un siècle plus tard, les écrits ne mentionnent plus que les lapins comme animaux élevés dans les garennes. Ces territoires sont utilisés pour la chasse mais surtout pour la production de lapins. Ainsi en 1245, les agents du comte de Poitiers ont-il vendu "cent soixante "couples" [paires] de lapins à Tonnay-Boutonne, pour treize livres, deux cents au Bourdet, pour seize livres, cent soixante à Marans, pour quatorze livres". Il est également précisé que les recettes provenant de ces garennes dépassent de beaucoup les frais de garde. En effet les garennes de l'époque sont essentiellement des garennes ouvertes, dont les limites sont simplement matérialisées par des bornes, mais les lapins y sont alimentés, au moins pendant une partie de l'hiver.

 
Figure 16 : Chasse aux lapins avec filets tendus et chiens
Figure 17 : Chasse aux lapins avec un furet (muselé) et des bourses - remarquer la présence de lapins blancs
Figure 18 : Chasse aux lapins avec un furet (muni d'un grelot) et des bourses
Figure 19 : La Chasse au lapin avec un arc, est pratiquée surtout comme divertissement par les Dames la noblesse.
D'après le "Livre de chasse"
de Gaston Phébus Comte de Foix (1389)
Tapisserie tissée à Tournai (Flandres) vers 1460
Extrait des "Taymouth Hours" réalisées à Londres vers 1330
 

La pullulation des lapins pendant la belle saison doit impérativement y être limitée par les personnes chargées de la gestion de la garenne, sinon les lapins provoquent trop de dégâts aux cultures environnantes. Ces captures de régulation sont effectuées avec des furets et des filets, car les animaux étant capturés vivants, il est possible de relâcher les femelles et de ne laisser qu'un mâle pour 10 à 20 femelles. A l'inverse la chasse à l'arc, pratiquée parfois par les dames de la noblesse, avait l'inconvénient de tuer les lapins sans distinction de sexe et elle était en outre plus aléatoire. Pour réduire l'incidence des dégâts au voisinage, la limite de la garenne est d'ailleurs généralement fixée (placement de bornes) à un jet de flèche des cultures les plus proches (150 à 200 m environ). Par exemple, vers 1260, la garenne du comte de Poitiers à Saintes n'était pas bornée ; le sénéchal interdit alors au prieur de Saint-Vivien de mettre en culture ses terres vagues qui étaient contiguës à cette garenne avant que le châtelain de Saintes [le comte de Poitiers] ait fait placer des bornes. Cette précaution visait à limiter par avance les conflits qui n'auraient pas manqué pas de naître des dégâts occasionnés par les lapins sortant de la garenne.

Durant toute la période féodale, le droit de garenne est un droit exclusif de chasse réservé aux nobles Par contre, la chasse reste libre en dehors des garennes pour les "non nobles". Par son ordonnance du 10 janvier 1396, Charles VI roi de France réserve l'exercice de la chasse au seul profit de la noblesse dans les garennes et au dehors. Ceci devint source de rancœurs et de conflits innombrables qui ne cessèrent que 400 ans plus tard avec l'abolition des privilèges par l'Assemblée nationale la nuit du 4 août 1789. Les manants (paysans) ne pouvaient donc plus chasser librement sauf dérogation particulière. La nature des sanctions, prononcées par les seigneurs, variait selon les coutumes et les lieux. Elles pouvaient être modestes ou très cruelles (par exemple condamnation aux galères).
Toutefois, les conflits engendrés par les dégâts occasionnés par les lapins sortis des garennes (et qu'on ne pouvait plus chasser) ont parfois été tels que certains seigneurs ont donné la gestion totale de la garenne aux habitants du village (y compris le droit de chasse) contre le paiement d'une redevance annuelle. C'est le cas par exemple de Hugues de Lusignan pour sa garenne de Charroux, qu'il concède aux habitants et à l'abbé du lieu, contre le paiement d'une rente annuelle de vingt livres. Pour éviter ces conflits, d'autres seigneurs prennent des mesures encore plus radicales Par exemple, Raoul de Mauléon prend le parti de détruire sa garenne de Châtelaillon, qu'il "transporte aux habitans d'Angoulins, pour estre essartée et deffaite, à cause du desgat qui en estoit faict aux fruicts et domaines qui en estoient à l'aproche" [qu'il cède aux habitants d'Angoulin afin qu'elle soit défrichée et détruite, à cause des dégâts qui étaient faits aux fruits et aux domaines qui en étaient proches]

 
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