CUNICULTURE
Magazine Volume 32 (année 2005) pages 19 à xx

ASFC 10 mars 2005 - Journée d'étude « Puebla - Ombres & Lumières »
Les apports en physiologie digestive et métabolique

lors du 8ème Congrès Mondial de Cuniculture de Puebla - Mexique, en septembre 2004

François LEBAS
Cuniculture

Charger la version *.pdf (678 Ko)

 

          L'une des 10 sessions du congrès a été consacrée à la Physiologie Digestive chez le lapin. Elle comprenait un rapport général préparé par L. Fortun-Lamothe et S. Bouillier [1] et 9 communications libres. En outre, différentes communications de la session "Alimentation et Nutrition" présentaient des résultats en relation totale ou partielle avec la physiologie digestive ou métabolique. Nous en avons retenu un vingtaine C'est cet ensemble de 29 communications et rapport que nous allons tenter d'analyser.     

La présentation est divisée en 9 parties accessibles directement

 
 

Introduction générale
Le rapport invité
Analyse de la flore digestive et ses variations
Nutriments élaborés par le flore digestive
Sources de variation de la digestibilité des aliments

 

Fonctionnement du système digestif : âge, sevrage, alimentation
Effet des additions enzymatiques
Physiologie générale et immunité
Conclusion
Liste des communications analysées et références
 
   Un premier fait à souligner est l'importance de l'activité dans ce domaine des équipes espagnoles, et de celle de l'École d'Agronomie de Madrid en particulier. En effet sur les 29 communications produites au total par les équipes de 11 pays, 8 ont été présentées par des équipes espagnoles, 5 par des équipes hongroises, 3 chacune par des équipes françaises, chinoises et tchèques, 2 par une équipe du Portugal et 1 par des équipes cubaine, égyptienne, roumaine et brésilienne.  
           Le deuxième fait remarquable est l'augmentation du nombre de critères ou paramètres mesurés pour tenter de caractériser ou de comprendre l'ampleur ou la nature des phénomènes digestifs. Ainsi aux critères classiques :
  • de mesure de la digestibilité globale ou iléale des aliments,
  • de caractéristiques physico-chimiques du contenu cæcal (concentration et nature des acides gras volatils, pH, teneur en matière sèche et en ammoniac)
  • d'activités enzymatiques pancréatiques ou intestinales
  • de mesure de la flore digestive bactérienne par les méthodes de culture in vitro

sont venues s'ajouter par exemple des mesures

  • de la flore digestive utilisant les méthodes issues de la biologie moléculaire, méthodes couvrant beaucoup mieux l'ensemble de la flore que les méthodes de culture. En effet seulement 20 à 25% des bactéries présentes sont cultivables, alors que les méthodes de biologie moléculaire couvrent l'ensemble de la flore.
  • des mesures de la variation du contenu iléal et pas seulement cæcal,
  • des mesures de la viscosité du contenu digestif,
  • des mesures du développement de la muqueuse digestive, en particulier dans l'intestin grêle,
  • des mesures quantitatives des apports nutritionnels provenant de l'activité de la flore digestive, recyclés ou non via la cæcotrophie.
 
  Tous ces éléments contribuent à démontrer que la Physiologie Digestive du Lapin est une discipline de recherche active. Nous allons tenter de voir quelles conclusions pratiques pour l'élevage il est possible de tirer de ce foisonnement d'idées.  
     
     
 

Le rapport général de la session Physiologie de la digestion


Figure 1 : Localisation des tissus lymphoïdes sur le tube digestif

 

Le rapport général présenté par deux scientifiques INRA/ENV de Toulouse [1] était consacré aux interactions entre la flore digestive et l'immunité pariétale digestive d'une part et aux stratégies envisageables pour améliorer la santé digestive des jeunes lapereaux d'autre part. Compte tenu de son ampleur (24 pages de texte et figures basées sur 140 références), le plus simple pour le présentation de ce rapport très complet et détaillé, est de reprendre son résumé (voir ci-dessous). Les auteurs ont insisté sur le rôle et la répartition des tissus lymphoïdes et des lymphocytes qu'ils génèrent. En effet ces cellules sont à l'origine des défenses immunitaires spécifiques. Elles sont réparties tout au long de la paroi intestinale et dans des localisations spécifiques telles que l'appendice cæcal ou le sacculus rotondus (jonction entre l'intestin grêle et le cæcum). La localisation macroscopique est schématisée sur la figure 1 et la localisation microscopique sur la figure 2. Nous en retiendrons surtout que le système de défense du tube digestif est pratiquement autonome et très complexe, tous les éléments constituant la paroi du tube digestif, le chyme alimentaire et la flore digestive interagissant entre eux. Par exemple les "corps étrangers" présents dans la lumière intestinale sont reconnus au niveau des cellules M à la surface des dômes folliculaires ou des plaques de Peyer et la sécrétion d'IgA effecutée en réaction pour les neutraliser est assurée dans les autres parties de la muqueuse digestive (figure 3)


Figure 2: Organisation spaciale schématque des tissus lymphoïdes associés à la paroi digestive


Figure 3 : Organisation fonctionnelle schématique du tissu lymphoïde associé au tube digestif

Résumé du rapport général : Les troubles digestifs apparaissent très souvent autour du sevrage et conduisent à une utilisation importante d'antibiotiques dans l'élevage du lapin. Dans ce contexte, les éleveurs comme les consommateurs souhaitent que soient trouvées des stratégies alternatives permettant d'améliorer la santé des animaux. Cependant le maintien de la santé du tube digestif est complexe et dépend de l'équilibre fragile entre la muqueuse (comprenant l'épithélium qui absorbe les nutriments et le système immunitaire digestif), la flore commensale et les facteurs d'environnement qui incluent l'alimentation. Tout d'abord les mécanismes immunitaires et non-immunitaires de protection contre les agents pathogènes sont présentés. Sont ensuite présentées les conditions d'installation et la composition de la flore digestive, suivies par l'analyse de son rôle dans la santé. Enfin, plusieurs stratégies sont présentées et discutées; elle visent à stimuler le système immunitaire digestif ou à favoriser la flore bénéfique qui élimine les agents pathogènes digestifs.
Plusieurs nutriments sont impliqués dans le développement de la réponse immunitaire et pourraient être utilisés pour favoriser les défenses immunitaires des animaux. Parmi ceux-ci les acides gras alimentaires (taux et rapport oméga3 / oméga6) pourraient présenter un certain intérêt pour les lapins. Le rôle des fibres alimentaires sur la santé digestive a déjà été démontré chez le lapin et des rapports étroits entre les apports de fibres [quantité et qualité] et la microflore cæcale ont été démontrés. Quelques travaux ont aussi montré l'influence du taux de fibres de l'aliment consommé par les lapereaux avant leur sevrage sur leur santé après ce dernier. C'est pourquoi les besoins alimentaires des lapereaux allaités, en particuliers leurs besoins en fibres, font l'objet de nombreux travaux avec comme objectif l'amélioration de leur santé ultérieure tout en respectant les besoins de leur mère. Une flore exogène peut aussi être ajoutée à l'alimentation pour stimuler les défenses immunitaires digestives des lapins et prévenir le développement des agents pathogènes. Enfin des vaccins peuvent permettre la protection de l'hôte contre des agents pathogènes spécifiques.

 

Analyses de la flore digestive et des causes de sa variation

 


Figure 4
: Indices de biodiversité de la flore iléale et caecale dans la cas de 4 aliments (T, X, Y, Z)

L'apport des méthodes de biologie moléculaire.

Les méthodes de biologie moléculaire permettent de séparer l'ADN des microorganismes et en comparant les différentes séquences constitutives de cet ADN, elles permettent de déterminer un index de la biodiversité des microorganismes présents dans la flore digestive. Le principal avantage est que cette méthodologie prend en compte la totalité des microorganismes présents dans la flore et non pas seulement les 20-25% cultivables. La comparaison des séquences d'ADN obtenues avec celles de banques de données permet également d'identifier un très grand nombre de microorganismes.
Par cette méthodologie l'équipe espagnole de Badiola et al. [12] a confirmé qu'entre les âges de 15 et 35 jours (avec un point intermédiaire à 25 j) la nature de la flore évolue, certains microorganismes apparaissant et d'autres disparaissant, cette évolution étant indépendante du type d'aliment (4 aliments testés). L'apport original de ce travail a été de démontrer que la flore du contenu iléal (fin de l'intestin grêle) est systématiquement plus diversifiée que celle du cæcum. Comme le montre la figure 4, l'ampleur de la biodiversité et l'écart entre iléon terminal et cæcum sont aussi très dépendants de l'alimentation des lapins. On doit par exemple remarquer que l'utilisation de l'aliment T a conduit à une biodiversité proche dans l'iléon et dans le cæcum, alors que l'utilisation d'un autre aliment Y a conduit à un écart beaucoup plus important (les auteurs n'ont donné aucune indication sur la nature des 4 aliment utilisés).

 

La même équipe, dans un travail sur l'influence du taux de fibres alimentaires et de leur broyage [24] a confirmé la plus grande biodiversité du contenu iléal par rapport au contenu cæcal. En outre, le degré de similarité entre les flores cæcale et iléale est de 65%. Un aliment à teneur élevée en fibres (30% NDF vs 25%) conduit à une réduction de la biodiversité de 31% sans altération de la digestibilité des fibres, mais avec une réduction de celle de la matière sèche et des matières azotées. Un broyage très grossier (grille de 9 mm vs 1 mm) conduit aussi à une réduction de cette biodiversité (- 40%), mais cette fois associée à une réduction de 9% de la digestibilité des fibres (NDF). Le broyage grossier réduit par exemple dans la flore iléale les bactéries des genres Escherichia, Helicobacter ou Klebsiella. L'aliment ayant le taux de fibres le plus faible réduit de son côté le nombre de bactéries du genre Bacteroïdes (impliquées dans la digestion des fibres). Enfin, les auteurs soulignent que la flore cæcale est nettement moins influencée par les aliments testés que celle de l'iléon.

 

 

 

 

Une séparation de la mère et de sa portée en dehors des allaitements contrôlés ne modifique que très transitoirement la mise en place de la flore digestive des lapereaux entre 0 et 10 jours

La flore digestive analysée par les méthodes classiques de culture in vitro

Les chercheurs spécialisés sur le comportement animal (Hudson et al., 1996) ont montré il y a quelques années qu'à l'occasion de chaque allaitement la lapine laissait dans le nid de ses jeunes lapereaux quelques crottes molles. Ces crottes disparaissent au cours de la journée, probablement ingérées par les lapereaux.. L'hypothèse a été émise que leur rôle était de fournir aux lapereaux une flore digestive similaire à celle de leur mère. L'équipe hongroise de Kovacs et al. [6] a voulu vérifier cette hypothèse. Par des allaitements libres ou contrôlés et la surveillance du contenu de la boite à nid avec retrait éventuel des crottes maternelles, elle a bien confirmé l'émission puis la disparition de ces crottes laissées par la mère. La flore digestive des lapereaux a été analysée tous les 2 jours entre 2 et 10 jours d'âge par la détermination du nombre de bactéries des genres Bacteroïdes, Lactobacillus, Streptococcus et Escherichia coli. Chez les lapereaux en allaitement libre la colonisation du cæcum par le genre Bacteroïdes (et la quasi disparition concomitante des genres Lactobacillus et E. coli) est un peu plus rapide que chez les lapereaux en allaitement contrôlé une fois par 24h. Le retrait scrupuleux des crottes laissées par la mère ne fait que retarder un peu plus la mise en place de la flore cæcale. Mais à 10 jours les 3 groupes expérimentaux avaient des flores tout à fait comparables. Au plan pratique cela veut dire qu'un allaitement contrôlé (tétée 1 fois par 24h) ne modifie pratiquement pas la mise en place de la flore digestive des lapereaux et peut donc être mis en œuvre si d'autres critères le justifient.

 

La présence d'antibiotiques dans l'alimentation réduit l'importance de la flore cæcale cultivable, mais certains groupes de bactéries peuvent ne pas être affectés.

Deux autres communications l'une portugaise et l'autre hongroise se sont intéressées aux conséquences sur la flore de la présence d'antibiotiques dans l'alimentation : bacitracine [27] et tiamuline +OTC+diclazuril [7]. Dans les deux cas la présence d'antibiotiques réduit l'importance de la flore totale cultivable et celle des colibacilles en particulier. La bacitracine fait pratiquement disparaître les entérocoques [27]. Par contre, dans l'étude hongroise [7], le complexe antibiotique utilisé n'a pas modifié le nombre de Bacteroïdes (non déterminé dans l'autre étude) . Dans cette même étude [7] l'addition d'un facteur de croissance non antibiotique (benzoquinones obtenues par culture de levures sur germe de blé) ne modifie ni l'ampleur de la flore totale, ni le nombre de Bacteroïdes.

 

Selon leur nature, des antibiotiques ajoutés dans l'alimentation peuvent stimuler ou freiner les fermentations cæcales. Les probiotiques donnent des résultats intermédiaires.

La flore digestive analysée à travers le résultat des fermentations

Comme cela est classique depuis plusieurs dizaines d'années, certaines communications ont présenté des analyses des concentrations dans le contenu cæcal des produits de l'activité de la flore: acides gras volatils (AGV), ammoniac, pH.

Ainsi la présence de bacitracine dans l'alimentation (0,1 kg/t) qui réduit la flore totale [27], tend par contre à augmenter la concentration du contenu cæcal [26] en AGV (80 vs 52 mM/L), et en particulier celle de l'acide butyrique (10,7 vs 4,6 mM/L) et à réduire le pH cæcal. L'addition le mannane-oligosaccharides en lieu et place de la bacitracine conduit à des résultats similaires quand à composition du contenu cæcal.
A l'inverse le complexe tiamuline+OTC+diclazuril placé dans l'aliment [7] réduit de manière drastique la concentration en AGV totaux (43 vs 104 mM/L), en réduisant particulièrement les concentrations en acétate et en butyrate. Le remplacement du complexe antibiotique par un activateur de croissance (benzoquinones [voir plus haut]) conduit à un résultat intermédiaire.

En marge de l'activité directe de la flore, un travail roumain de physiologie aiguë [3] a montré qu'un accroissement de la concentration d'acétate, de propionate ou surtout de butyrate dans le sang périphérique stimule la sécrétion d'amylase pancréatique. Ainsi une absorption digestive accrue d'AGV issus des fermentations cæcales et l'augmentation corrélée des taux sanguins, stimule l'efficacité de la digestion de l'amidon (meilleure hydrolyse et production de glucose directement absorbé dans l'intestin grêle) , privant ainsi les bactéries cæcales d'une partie du substrat leur permettant de produire ces AGV. Cela correspond à une système classique de régulation digestive avec modification du fonctionnement physiologique en amont du point "critique" (ici le cæcum).

 

Mesure quantitative des nutriments élaborés par la flore digestive

 

 


Figure 5 : Origine de la lysine absorbée chaque jour par un lapin

La lysine est un acide aminés indispensable que le lapin doit trouver que dans son alimentation ou dans les produits synthétisés par sa flore digestive. Mais en aucun cas la lysine ne peut être "fabriquée" par le lapin lui-même. En incorporant du chlorure d'ammonium marqué à l'azote 15 (15N) dans l'alimentation et en récupérant la lysine totale et celle marquée 15N dans les corps bactériens (contenu digestif et cæcotrophes) mais aussi dans l'organisme du lapin (muscles, foie) il est possible de déterminer la contribution de la synthèse microbienne à l'approvisionnement en lysine du lapin. Avec cette technique, une équipe espagnole de Saragosse [13] a pu déterminer d'abord que la flore cæcale du lapin synthétise effectivement de la 15N-lysine (forme organique) à partir de l'azote 15 du chlorure d'ammonium (forme minérale). Au plan quantitatif, la lysine synthétisée par la flore digestive représente 46% de la quantité de lysine absorbée chaque jour par un lapin. Sur ce total 40% sont absorbés après ingestion des cæcotrophes, tandis que 6% sont absorbés directement sans passer par l'ingestion des cæcotrophes. La teneur en 15N-lysine de la flore cæcale est d'ailleurs indépendante du fait que les cæcotrophes soient absorbés ou non. Au plan pratique, cela veut dire que chez tout lapin au fonctionnement digestif perturbé entraînant un arrêt de l'ingestion des cæcotrophes (cas très fréquent), il manque 40% de l'apport de lysine. Cet acide aminé étant indispensable, le lapin se trouve donc immédiatement carencé (pas de stockage) et toutes les synthèses protéiques sont altérées : aussi bien celles nécessaires à la croissance musculaire ou fœtale que la synthèse des enzymes nécessaires à l'organisme ou que la synthèse des immunoglobulines. Ce raisonnement est applicable aux autres acides aminés indispensables tels que la acides aminés soufrés ou la thréonine, mais l'ampleur de l'apport via la flore n'a pas été chiffré.

 

La flore digestive synthétise environ 12% des lipides ingérés chaque jour par un lapin. Elle fournit en particulier jusqu'à 30 mg de CLA par jour (acides linoléniques conjugués) Dans un esprit similaire, une autre équipe espagnole, de Madrid cette fois [20], a mesuré la quantité de cæcotrophes produite par les lapins en fonction de la teneur en fibres solubles de l'alimentation (7,9 à 13,1%, en substitution à de l'amidon - teneur constante en NDF). La quantité produite s'accroît avec la teneur en fibres solubles, de 13,6 à 17,7 g de matière sèche par jour. Parallèlement la quantité de lipides ingérés en provenance des cæcotrophes s'accroît aussi, passant de 0,35 à 0,44 g/jour. La composition de ces lipides est également affectée par les fibres solubles, substrat privilégié de la flore cæcale. Ainsi la proportion d'acides gras à nombre impair de carbones (issus exclusivement de la synthèse bactérienne) passe de 7,2% à 11,4% des acides gras totaux. De même, les acides gras ramifiés, également issus de la synthèse bactérienne, passent de 6,7% à 9,7% des acides gras totaux. Enfin les acides gras conjugués (a. linoléiques conjugués = CLA) augmentent aussi de 6,7 à 8,2% des acides gras totaux. En moyenne, les auteurs de cette communication [20] estiment que 12% des lipides ingérés par un lapin proviennent des synthèses effectuées par sa flore digestive. L'ingestion de CLA (impliqués dans différents mécanismes de défense) peut représenter jusqu'à 30 mg par animal et par jour avec le régime le plus riche en fibres solubles. Là encore au plan pratique on ne peut que souligner le déséquilibre nutritionnel engendré par un arrêt de la cæcotrophie immanquablement associé à toute perturbation du fonctionnement digestif.
 
 
Suite de l'analyse des communications sur la physiologie digestive
   
 
 
Retour en haut de page