CUNICULTURE Magazine Volume 43 (année 2016)  pages 13 à 17
(ISSN 2273-8142)

PISTE DE RECHERCHES POUR AMÉLIORER LA ROBUSTESSE DES LAPEREAUX AU SEVRAGE : L’ALIMENTATION PRÉCOCE

 
Sylvie COMBES¹, Sylia IKKEN¹³, Thierry GIDENNE¹, Elodie BALMISSE², Patrick AYMARD²
Angélique TRAVE

¹ GenPhySE, Centre INRA de Toulouse, 31326 Castanet-Tolosan Cédex
² PECTOUL, Centre INRA de Toulouse, 31326 Castanet-Tolosan Cédex
³ ITAVI, Centre INRA Val de Loire, URA, 37380 Nouzilly

 

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Préambule : ce travail a été présenté oralement lors de la Journée nationale sur le Lapin le Chair organisé par l'ITAVI à Pacé (Ille et Vilaine), le 16 novembre 2016
 
Résumé : L’objectif de cette étude était de stimuler l’ingestion solide du lapereau allaité en modulant l’âge d’accès à l’aliment solide granulé (j8 vs j18) ou le ratio amidon/protéines de l’aliment. Trois lots de 17 portées ont été constitués. Dans le lot 1, les lapereaux allaités avaient accès, dès 8j dans le nid, à l’aliment P+A- (protéine digestible 13,5%; amidon 6,8 %); dans le lot 2, les lapereaux avaient accès au même aliment mais seulement à partir de 18j. Pour le lot 3, les lapereaux étaient nourris à partir de 18 jours avec un aliment P-A+ (protéine digestible : 9,9 %, amidon 8,9%). Au sevrage (35 j), les lapereaux ont été rationnés à 77% de l’ingestion volontaire. L’état sanitaire a été contrôlé quotidiennement, la production laitière de la lapine a été mesurée 2 fois par semaine, le poids vif et la consommation d'aliment par les lapereaux, dans le nid entre 8 et 18j, puis dans la mangeoire (18-35j) ont été mesurés. Le taux de mortalité n’était pas différent entre les lots (2,8% entre 8 et 35 j ; et 0,4 % entre 35 et 70 j). L’ingestion d'aliment granulé au nid entre 8 et 18j est de 0,75 granulé/lapin/jour. Cette consommation précoce de granulé n’a pas eu d’incidence sur la production laitière des mères ou la croissance jusqu’au sevrage des lapereaux. Sur la période 35 – 70 j, le lot 3 présente la croissance la plus élevée (39,5±0,4 g/j), la plus faible est observée pour le lot 2 (37,6±0,4 g/j) tandis que le lot 1 présente une valeur intermédiaire (38,8±0,5 g/j). Ces résultats confirment la capacité des lapereaux à ingérer précocement un aliment solide sans effet délétère sur la santé. Dans nos conditions, sanitaires favorables, l’aliment modérément riche en amidon, utilisé entre 18 et 42 jours, montre un intérêt pour la croissance post sevrage des lapereaux.
 
1 - INTRODUCTION


Sylvie COMBES

Sylvie Combes lors de la présentation de ce travail

Miocrobiote définition

 

L'amélioration de la technicité des éleveurs, des pratiques d'élevage a induit une amélioration constante de la performance de production, et d'efficience alimentaire en élevage cunicole (Combes et al. 2013, Gidenne et al. 2013a). En dépit de ces avancées, le contexte de l'entérocolite épizootique du lapin et la sensibilité aux troubles digestifs autour du sevrage (Licois et Marlier, 2008) contraignent les éleveurs à utiliser des intrants médicamenteux. Conscient du problème de l'émergence et la diffusion de bactéries résistantes aux antibiotiques, ainsi que du rejet social de ces pratiques, les acteurs de la filière cunicole ont engagé depuis 2011 une démarche de réduction et d'optimisation de l'utilisation des antibiotiques (démarche interprofessionnelle cunicole du CLIPP et plan interministériel Ecoantibio 2017). Ainsi, sur les cinq dernières années une baisse moyenne de 30% de l'exposition des lapins aux antibiotiques a été constatée, avec néanmoins une augmentation de 3,6% entre 2012 et 2013 (Chevance et Moulin, 2014). Ceci renforce l'intérêt d’identifier de nouveaux leviers permettant aux acteurs de la filière cunicole de mieux maitriser la santé des lapins et ainsi poursuivre les efforts engagés.

 

Dans les élevages professionnels les lapereaux ont accès à des aliments granulés seulement lorsqu’ils sont en mesure de quitter le nid. A cette période, les jeunes lapins et la mère ont accès à la même alimentation. En outre, cet aliment est formulé comme un compromis entre les besoins des lapines gravides allaitantes et les jeunes lapereaux. Cette situation freine l'innovation nutritionnelle tant pour les lapereaux  que pour les lapines. Or, le lapereau allaité est capable d’ingérer quelques granulés d'aliment ou fèces maternels à partir de 7 jours d'âge (Gidenne et al. 2013b) dans le nid. Dans ce contexte, nous proposons des innovations nutritionnelles destinées aux jeunes lapereaux pour améliorer leur robustesse. Le projet de recherche est basé sur 3 constats (Combes et al. 2013)
1) le microbiote digestif , partenaire symbiotique, joue un rôle important dans la préservation de la santé du lapereau.
2) l'implantation du microbiote digestif est dépendante de l'ingestion d'aliment solide.
3) le levier alimentaire est l'un des plus efficaces pour contrôler la diversité du microbiote.

Ainsi, dans cette étude, nous proposons de stimuler l’ingestion d’aliment solide granulé du lapereau avant le sevrage, soit par un apport précoce (dès 8 jours d'âge), soit en augmentant le ratio amidon/protéines

2 - Matériel et Méthodes

Composition centésimales des 2 aliments expérimentaux
 

Deux jours après la mise bas, les portées ont été équilibrées à 11 lapereaux /femelle. Trois lots de 17 portées ont été constitués. Tous les lapereaux avaient une alimentation séparée et différente de celle de leur mère (Fortun-Lamothe, et al., 2000).

Pour le lot 1, dans leur nid, les lapereaux allaités avaient accès dès 8 jours d'âge, à un aliment granulé "P+A-" ayant une teneur en protéines élevée (protéines digestibles 13,5 %), et une très faible teneur en amidon (6,8 %), soit un ratio amidon / protéines digestibles de 0,59 . Dans le lot 2 les lapereaux avaient accès au même aliment mais à partir de 18 jours seulement. Pour le lot 3, les lapereaux disposaient à partir de 18 jours d'un aliment "P-A+" ayant une faible teneur en protéines (protéines digestibles 9,9 %), et une teneur modérée en amidon (8,9%), soit un ratio amidon / protéines digestibles de 0,90. Les 2 aliments avaient la même teneur en énergie digestibles (2240 kcal/kg). Les boites à nid ont été retirées à 21 jours.

Composition aliments
   
Nids Cges mère -lapereaux
   

Sept jours après la mise bas, le nid réalisé par la mère (poils + litière en copeaux de bois) a été retiré pour être remplacé par un nid constitué de copeaux de bois, recouverts de coton cardé pour garantir un confort thermique aux lapereaux . Les fèces éventuellement déposées par les mères au moment de l'allaitement, sont comptées puis remises sur le côté gauche du nid. Pour le lot 1, douze granulés (soit 1,8 g), ont été placés à l’opposé. Les fèces de la mère ont été laissées dans les nids, pour tous les lots avec un maximum de 10 fèces de manière à garantir l'hygiène du nid. L’ingestion de granulés ou de fèces maternelles placés dans la boite à nid a été estimée quotidiennement entre 8 et 18 jours par dénombrement des granulés ou fèces restant le lendemain.

    Schéme expériumental
   

La production laitière de la lapine a été mesurée 2 fois par semaine lors de l'allaitement quotidien. Les lapereaux ont été pesés chaque semaine et les consommations alimentaires ont été mesurées également pour chaque semaine. Après le sevrage (35 jours), les lapereaux ont continué à recevoir pendant une semaine les mêmes aliments mais ont été rationnés à 77% de l’ingestion volontaire calculée à partir de congénères contemporains pour chacun des lots et nourris ad libitum. A partir de 42 jours les lapereaux des trois lots ont été alimentés avec un même aliment commercial type « croissance » toujours rationné à 77% des lots ad libitum correspondant. L’état sanitaire a été contrôlé de manière quotidienne.

3 - RÉSULTATS et DISCUSSION
   

Entre 8 et 18 jours d’âge, l’ingestion de granulés (lot 1) est de 0,75 granulés/lapin/jour et n’a pas d’incidence sur la production laitière de la mère ou la croissance des lapereaux jusqu’au sevrage (tableaux 1 et 2). Ces résultats confirment la capacité des lapereaux à ingérer de l’aliment solide (Gidenne et al. 2013b). Toutefois cette quantité d’aliment ingérée reste négligeable au regard de la consommation de lait du lapereau qui est en moyenne de 29 g/j et/lapin sur la même période. Le taux de mortalité est faible, et ne diffère pas entre les lots (7, 6, et 3 lapins morts pour un total de 187 lapins par lot respectivement pour les lots 1, 2 et 3). Ces résultats montrent que l’ingestion d’un aliment solide dès j8 ou la modification du ratio amidon/proteines digestibles n’ont pas d’effet délétère sur la santé, dans nos conditions expérimentales avec un bon état sanitaire.

Après le sevrage, en condition d’alimentation ad libitum, les lapereaux contemporains du lot 2 ont une consommation plus faible. En conséquence, en ingestion limitée (77% de l’ad libitum), les quantités d’aliment distribuées ont respecté les différences entre lot et sont plus faibles pour le lot 2. Pour la période de rationnement entre 35 et 42 jours, les meilleures performances de croissance sont observées pour les lapereaux du lot 3 (GMQ : +19%, IC : -0,3 point, Tableau 3). Sur la période 35 – 70j, le lot 3 présente la croissance la plus élevée (39,5±0,4 g/j) et la croisssance la plus faible est observée pour le lot 2 (37,6±0,4 g/j), tandis que le lot 1 présente une valeur intermédiaire (38,8±0,5 g/j). L’indice de consommation n’est pas significativement différent entre lot.

    Tableau 1 tableau 2
    Consommationaliment après sevrage tableau 3
     
4 - CONCLUSION
   

Un aliment pauvre en protéines avec une teneur modérée en amidon (aliment P-A+) semble montrer un intérêt pour la croissance post-sevrage des lapereaux en conditions sanitaires maitrisées (4 lapins morts / 220), par rapport à un aliment plus riche en protéines et pauvre en amidon (aliment P+A-).

Les résultats de cet essai confirment la capacité des lapereaux à ingérer précocement (dès 8 jours) un peu d'aliment granulé. Néanmoins, les quantités ingérées restent négligeable, et semblent ne pas avoir d'impact sur la santé ou sur la croissance avant le sevrage. Néanmoins, nous posons l'hypothèse que cette ingestion pourrait faciliter l’implantation d’un microbiote digestif favorable au développement du système immunitaire des lapereaux. Ces paramètres sont en cours d’analyse sur les 3 lots.

   
Références bibliographiques citées
   

Combes S., Gidenne T., Boucher S., Fortun-Lamothe L., Bolet G., Coureaud G., 2013. Lapereaux de la naissance au sevrage : quels outils pour des lapereaux plus robustes ? 15ème Journées de la Recherche Cunicole, 20-21 Novembre, Le Mans , France, 63-77.
Chevance A., Moulin G., 2014. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2013. In : Ed. Ministère de l’Agriculture de l’Alimentation de la Pêche et des Affaires Rurales, p. 38. Anses - ANMV, Maisons-Alfort, France https://www.anses.fr/fr/system/files/ANMV-Ra-Antibiotiques2013.pdf.
Fortun-Lamothe L., Gidenne T., Lapanouse A., De Dapper J. 2000. Technical note: An original system to separately control litter and female feed intake without modification of the mother - young relations. World Rabbit Sci., 8:177-180.
Gidenne T., Aubert C., Drouilhet L., Garreau H., 2013a. L'efficacité alimentaire en cuniculture: impacts technico-économiques et environnementaux.,15ème Journées de la Recherche Cunicole, 20-21 Novembre, Le Mans , France,1-13.
Gidenne T., Combes S., Fortun-Lamothe L., Zemb O., 2013b. Capacité d'ingestion d'aliment sec par le lapereau au nid: interaction avec l'ingestion de fèces dures maternelles.,15ème Journées de la Recherche Cunicole, 20-21 Novembre, Le Mans , France,, 89-92.
Licois D., Marlier D., 2008. Pathologies infectieuses du lapin en élevage rationnel. INRA Productions Animales 21:257-268.

Remerciements
    Ce travail a été financé par le plan interministériel EcoAntibio 2017 et le CLIPP. Les membres du Groupe d’Expérimentation Cunicole (GEC) ont contribué à l’élaboration des modalités expérimentales de cette étude.
 
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