CUNICULTURE Magazine Volume 39 (année 2012)  pages 33 à 43

L’ENRICHISSEMENT DES ALIMENTS LAPIN EN OMEGA 3 COURTES ET LONGUES CHAÎNES: UNE OPPORTUNITÉ POUR LE PRODUCTEUR ET LE CONSOMMATEUR

 
Michel COLIN *, Cai XI *, Anne Yvonne PRIGENT **

* Copri SARL, Coat Izella, 29830 PLOUDALMEZEAU
** Cesan, Coat Izella, 29830 PLOUDALMEZEAU

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INTRODUCTION

L’étude des effets de l’enrichissement des aliments pour lapins en acides gras oméga 3 sur la qualité de la viande des lapins a fait l’objet de plusieurs études synthétisées dans CunicultureMagazine il y a quelques temps (Lebas 2007). Ces études ont généralement été réalisées uniquement avec des apports d'acide alpha-linolénique (Oméga 3 courte chaîne) et ont rarement abordé pour le lapin les conséquences zootechniques de cet enrichissement. La présente publication de synthèse vise donc à présenter une approche plus complète des effets de l’augmentation du taux d’acides gras oméga 3 dans les aliments pour lapins à la fois sous l’angle qualitatif et quantitatif. Nous y présenterons non seulement l’intérêt pour l'alimentation humaine à travers les caractéristiques nutritionnelles de la viande de lapin obtenue, mais aussi l'intérêt pour le lapin lui même de ces apports vis à vis des performances zootechniques obtenues dans les élevages utilisant des aliments riches en acides gras oméga 3.

Pour cette synthèse, nous avons utilisé aussi bien les résultats de la bibliographie que ceux des expérimentations menées depuis 10 ans au CESAN. Nous présenterons principalement les résultats d’enrichissements en oméga 3 courtes chaînes par utilisation de graines de lin extrudé (Tradi-lin®). Nous évoquerons ensuite l'efficacité comparée d’une supplémentation en DHA d’origine animale (huile de poisson) ou d'origine végétale (Microalgues).

Note : Ce travail a fait l'objet d'une présentation publique lors de la session Lapin organisée par l'ITAVI le 23 novembre 2012 à Pacé (35)

Rappel sur les acides gras oméga 3, omega 6 et leurs rôles

Pour rester en bonne santé, l'homme doit trouver via son alimentation un apport minimum en acides gras de la famille oméga-3 (la famille d'acides gras ayant leur première double liaison en position n-3, pour les biochimistes). La source principale est l'acide alpha linolénique (ALA, pour Alpha Linolenic Acid en anglais) un acide gras à 18 carbones ayant 3 doubles liaisons. Mais ce que l'homme utilise, après transformation plus ou moins efficace à partir de l'ALA, ce sont les acides gras à longue chaîne (ayant plus de 20 atomes de carbones) de la même famille oméga 3, en particulier l'acide eicosapentanoïque 20:5 n-3 (EPA) et l'acide docosahexanoïque 22:6 n-3 (DHA). La synthèse de ces acides gras à partir de l'ALA s'avère parfois insuffisante, aussi un apport alimentaire de DHA en particulier est-il de plus en plus souvent considéré comme utile pour l'homme.

Les acides gras oméga 3 sont assez rares dans l'alimentation humaine (quelques végétaux, des poissons gras des mer froides , ...et la viande de lapin). Ils interviennent , le DHA en particulier, surtout dans la constitution du système nerveux. Un taux suffisant permet de réduire les risques cardiovasculaires par réduction des triglycérides sanguins. Une déficience a été associée par exemple à la maladie d'Alzheimer ou à des troubles de la vision (le DHA constitue 50% des phospholipides des membranes des cellules en bâtonnet de l'œil)

De leur côté les acides gras omega 6 (la première double liaison est plus éloignée de l'extrémité et située en position n-6) sont aussi nécessaires à l'homme, en particulier l'acide arachidonique (C20:4 n-6). Il est synthétisé (plus ou moins efficacement) à partir de l'acide linoléique et intervient dans la cicatrisation, l'atténuation des réactions allergiques ou la réduction des risques cardiovasculaires. Contrairement aux oméga 3, ils sont très abondants dans l'alimentation humaine (taux élevé dans quasi toutes les huiles végétales, et dans les graisses animales). Ils sont facilement présents à des taux dépassant largement les besoins et ont alors des effets négatifs (arthrite, eczéma, psoriasis, ... et plusieurs maladies auto-immunes). Le rapport conseillé entre oméga 6 et oméga 3 est de 5 / 1, alors que dans l'alimentation européenne courante ce rapport dépasse 10 voire 20 (trop d'oméga 6 et pas assez d'oméga 3).

Effets du lin et de l'acide alpha-linoléique sur les performances zootechniques des lapins
Effets sur la REPRODUCTION et les PERFORMANCES en MATERNITÉ

Longévité des lapines reproductrices

 

Des essais chez la truie ayant montré que l’incorporation de Tradi-lin® dans la ration des truies augmente le nombre de portées pendant leur vie productive, nous avons voulu vérifier si l’on retrouve le même phénomène chez la lapine. 190 jeunes lapines Hyplus ont été réparties en 2 groupes, l’un recevant un aliment témoin et l’autre un aliment contenant 2.5% de Tradi-lin® (Figure 1). La fonte du cheptel est plus forte pour les lapines recevant l’aliment témoin que pour celles avec l’aliment supplémenté en Tradi-lin®, la différence étant significative à partir de la sixième portée. Sur une base annuelle, cet écart correspond à une différence d’environ 20% du taux de renouvellement annuel.

Cette conclusion est renforcée par une synthèse de nos propres résultats et de données bibliographiques (1 322 lapines au total) montrant une réduction de la mortalité des lapines de l’ordre de 5.5 points en moyenne lors de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment (Figure 2).

   

Figure 1 : Effet de l’incorporation de 2.5 % de Tradi-lin® sur le pourcentage de lapines restant en production en fonction du rang de mise-bas - 190 lapines en essai (Résultat Cesan).

Figure 2: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur la mortalité annuelle des lapines dans 4 expérimentations - 1 322 lapines en essai

Effet sur la fertilité  

Les études disponibles montrent une amélioration de la fertilité par incorporation de graines de lin extrudées dans l’aliment (Figure 3 – synthése sur 2 179 lapines).

Il faut cependant noter qu’elles n’ont été réalisées qu’avec des niveaux de fertilités bas dans le régime témoin. De nouvelles études avec des niveaux de fertilité normaux dans le régime témoin sont donc nécessaires pour confirmer l'effet positif de la graine de lin sur la fertilité des lapines

Figure 3: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur la fertilité des lapines- 2 179 lapines en essai
Effet sur la prolificité  

L’incorporation de graines de lin extrudées dans l’aliment améliore également significativement l’effectif de lapins nés vivants par portée (Figure 4). Ce résultat est considéré comme classique chez le Porc.

Figure 4: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur l’effectif de lapereaux nés vivants - 747 lapines en essai

Effet sur la composition du lait de lapines  

Le taux d’acides gras oméga 3 dans le lait de lapines recevant des aliments contenant des graines de lin extrudées est 2 à 3 fois plus élevé que celui des lapines témoin (Figure 5). Ce résultat classique chez les autres mammifères (vache, truie) est très intéressant puisque les oméga 3 ont un rôle très important dans le développement immunitaire.

Figure 5: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur la teneur en acides gras oméga 3 du lait de lapine.

Effets sur la croissance et les performances pondérales des lapereaux avant sevrage  

L’incorporation de Tradi-lin® dans les aliments granulés des lapines améliore la croissance et le poids au sevrage de leurs lapereaux (Figure 6). Cet accroissement des performances pondérales est probablement la conséquence d’une production laitière plus élevée et d’une meilleure valeur nutritive du lait (taux d’oméga 3 plus élevé).

Curieusement, l’étude de nos propres résultats et de données bibliographiques (21 715 lapereaux au total) ne montre pas de différence sur la viabilité des lapereaux avant sevrage (Figure 7). Cette absence d’effet positif direct de l’incorporation de graines de lin extrudé dans les aliments peut peut-être s’expliquée par des effectifs à la naissance plus élevés, ce qui constitue en soit une cause d’augmentation de la mortalité.

 

Figure 6: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment
sur les performances pondérales des lapereaux avant sevrage

Figure7: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur la mortalité des lapereaux avant sevrage - 21 715 lapereaux en essai

Effet sur les PERFORMANCES d'ENGRAISSEMENT

Effet sur la mortalité en engraissement

 

 

 
Figure 8: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment
sur la mortalité des lapereaux à l’engraissement - 13 028 lapins en essai

Une étude systématique de la totalité des résultats disponibles dans notre élevage et dans la bibliographie montre une réduction importante de la mortalité en engraissement lors de l’incorporation de graines de lin extrudées dans les aliments pour lapin à l’engraissement (Figure 8). Ainsi, sur un cumul de 13 028 lapins, la mortalité diminue de 3,5%. Surtout, on retrouve cette amélioration systématiquement dans les cinq élevages où cette comparaison a été réalisée et ceci aussi bien lorsque la mortalité du régime témoin est haute (plus de 12 %) que lorsqu’elle est basse. L’incorporation de graines de lin extrudées apparaît comme un élément important pouvant faciliter la démédication.

Cette réduction de mortalité lors de l’utilisation du lin est probablement due à l’apport d’acides gras oméga 3 dont les effets immunostimulants ont déjà été évoqués. Mais, elle peut également être mise en relation avec les lignanes, dont les puissants effets antioxydants sont connus et avec les mucilages apportées par la graine, pour lesquels un effet de régulateur du transit digestif a été démontré, notamment comme moyen de lutte contre la constipation chez la truie.

Effets sur la croissance des lapereaux en engraissement

 

 

 

 
Figure 9: Effets de l’incorporation de lin extrudé dans l’aliment sur les performances pondérales des lapereaux à l’engraissement - 11 915 lapins en essai -

L’étude de nos propres résultats et de données bibliographiques de 4 autres essais (11 915 lapereaux au total) ne montre aucune différence moyenne entre les performances pondérales des lapins à l’engraissement recevant des aliments contenant du lin extrudé et celles des lapins recevant un aliment témoin (Figure 9).

Ce point constitue une différence importante entre le lapin et le porc dont la croissance est améliorée par l’apport d’acides gras oméga 3 dans l’aliment.

   
Effets des apport alimentaires d'acides gras oméga 3 sur la composition de la viande de lapin

ENRICHISSEMENT en ACIDE ALPHA-LINOLÉNIQUE
   

De nombreux travaux ont démontré la possibilité d’augmenter la teneur de la viande de lapin en acide alpha-linolénique, essentiellement par incorporation dans l’aliment de graines de lin (Colin et al 2010) mais aussi d’huile de lin (Bielanski et Kowalska 2008), de luzerne (Gigaud et Combes 2008) .
Sur la base des différentes informations disponibles dans la bibliographie et dans nos essais, nous avons cherché à définir des équations reliant la teneur en oméga 3 des lipides de la ration, à la teneur en oméga 3 totaux des graisses de lapin (Figure 10).

   
Figure 10: Relations entre la teneur en oméga 3 des lipides de la ration
et la teneur en oméga 3 totaux des graisses de lapin

Effet de différences sources d'acides alpha linolénique

 

 

 

 

 






 

Ce travail a été réalisé en distinguant 3 types de formules:

  • Celles où les oméga 3 sont apportés par le Tradi-lin®.
  • Celles où les oméga 3 sont apportés par d’autres sources de lin (graine, huile).
  • Celles où les oméga 3 sont apportés par d’autres matières premières (Poisson, colza, luzerne).

Quelque soit la source d’oméga 3 dans la ration alimentaire, une augmentation du taux d’oméga 3 dans l’aliment entraine une augmentation de la teneur des graisses de la viande. Mais l’augmentation est plus importante et la corrélation plus élevée avec le lin extrudé qu’avec les autres sources de lin et plus encore avec les autres sources d’oméga 3.

Figure 11: Pourcentage des apports nutritionnels recommandés (ANC) couverts par 100 grammes de viande de râble ou d’épaule de lapin recevant un aliment enrichi en graines de lin

Les observations concernant cette troisième catégorie doivent cependant être nuancées car elle regroupe des matières premières très différentes, y compris quand à la biodisponibilité de leurs oméga 3. Seul le nombre insuffisant de données nous a empêchés de procéder à une étude plus fine, matière première par matière première.

Globalement, la viande de lapin présente des capacités d’enrichissement en oméga 3 supérieures à la plupart des autres espèces domestiques. Ainsi, grâce à un enrichissement en oméga 3 de l’aliment, on peut facilement obtenir un produit dont 100 grammes couvrent 40 à 45 % des besoins en acide alpha-linolénique recommandés par l’ANCES (Figure 11), ce qui peut constituer une opportunité importante pour la viande de lapin. Il est d’ailleurs intéressant de constater que lorsque l’on positionne les différents produits carnés (viande et poisson) en fonction de leur teneur en oméga 3, le lapin se trouve en situation intermédiaire entre le poisson et les autres viandes (Figure 12).

 

Figure 12: Positionnement de différents produits carnés en fonction de leur teneur en acides gras oméga 3

EFFETS de la SUPPLEMENTATION des ALIMENTS LAPINS par du DHA ANIMAL ou VEGETAL

 

 

Si le lapin est un excellent accumulateur d’acide alpha-linolénique, par contre il ne dispose pas de l’équipement enzymatique lui permettant de le transformer en quantités importantes en EPA et en DHA qui sont les 2 acides gras oméga 3 les plus actifs au niveau de nos cellules. En cela il est dans la même situation que l'homme ou d'autres animaux comme le chien ou les ruminants (voir le tableau synoptique de l'aptitude des différentes espèces ainsi que celui concernant les voies d'utilisation des acides gras oméga 3 et oméga 6).

Figure 13: Effet d’un enrichissement de l’aliment en huile de poisson ou en DHA végétal  sur le taux de DHA de la viande de lapin

Or disposer d’une viande enrichie en DHA présente un intérêt notamment pour certaines personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires ou sur certains marchés comme les marchés asiatiques qui valorisent le taux de DHA dans les produits. La source principale de DHA étant l’huile de poisson, l’équipe de Castellini à Pérouges (Italie) a démontré dés les années 90 la possibilité d’enrichir de la viande de lapin en DHA en incorporant de l’huile de poisson dans les aliments. Une telle solution est techniquement et nutritionnellement satisfaisante mais ne peut être développée en France et dans plusieurs pays européens réticents à l’introduction de produits  dérivés du poisson dans les aliments pour animaux surtout herbivores. Nous avons donc mis au point une méthode consistant à utiliser l’une des très rares sources de DHA végétal (microalgues particulières) pour enrichir la viande de lapin. Les résultats obtenus sont exactement identiques à ceux observés avec l‘huile de poisson, ouvrant de nouvelles perspectives au développement de la viande de lapin (Figure 13).

CONCLUSION

L’enrichissement en acides gras oméga 3 de l’aliment lapin présente de nombreux avantages tant au niveau de l’éleveur que du consommateur.
- Pour l’éleveur, il constitue une solution pour améliorer à la fois les performances de reproduction et la santé des animaux, en particulier en diminuant la mortalité des femelles et des lapereaux en engraissement. En ce sens, la graine de lin extrudée constitue un auxiliaire précieux dans une stratégie de démédication.
- Pour le consommateur, la viande provenant de lapins ayant consommée de la graine de lin extrudée constitue un aliment présentant un équilibre parfait au niveau de ses acides gras oméga 3 et oméga 6 et représente donc un élément important dans un menu destiné à limiter les risques de maladies métaboliques.
- Enfin, la possibilité d’enrichir la viande de lapin en DHA d’origine exclusivement végétale signifie une opportunité intéressante sur certains marchés de niches, particulièrement à l’export.

 
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